Ce n’est qu’une image mais elle témoigne de l’émotion ressentie par Éric Dupond-Moretti, mercredi 29 novembre, peu après 15 heures. Alors que, durant tout son procès devant la Cour de justice de la République, il avait tenté d’échapper aux caméras de télévision, entrant et sortant du prétoire par une petite porte dérobée, il a, cette fois-là, pris le temps de descendre lentement – très lentement – les quatre marches qui séparent cette juridiction de la salle des pas perdus. Passant devant les journalistes agglutinés devant lui. Évidemment, il n’a pas fait le moindre commentaire. Mais en levant plusieurs fois les yeux en l’air comme s’il voulait remercier une quelconque puissance divine qui s’affiche sur les plafonds dorés des lieux, on pouvait lire tout son soulagement.

Une dizaine de jours après la fin des débats animés et parfois tendus, la Cour de justice de la République a donc décidé de relaxer le ministre de la Justice qui y était jugé pour « prise illégale d’intérêts ». L’affaire est désormais connue : Éric Dupond-Moretti était poursuivi pour avoir lancé, en sa qualité de ministre, des enquêtes administratives à l’encontre de quatre magistrats avec qui il avait eu maille à partir lorsqu’il était avocat. Comme s’il avait déchaîné contre eux la puissance de la place Vendôme par esprit de vengeance.

L’absence d’élément intentionnel pour la CJR

Dans un court exposé des motivations de l’arrêt de 19 minutes très précisément, Dominique Pauthe, le président de la CJR, a expliqué pourquoi le ministre devait être déclaré « non-coupable ». Aux yeux de la Cour, l’infraction de « prise illégale d’intérêts » ne peut être établie que si les débats ont permis de mettre à jour un élément matériel d’une part et un élément intentionnel, de l’autre. Sur l’élément matériel, aucun souci. Il est indubitable qu’Éric Dupond-Moretti, en sa qualité de garde des Sceaux, a lancé des enquêtes administratives à l’encontre des quatre magistrats. Qu’il était donc en situation de conflit d’intérêts. Mais a-t-il agi ainsi « sciemment » ? Par animosité personnelle envers ces magistrats ? Et, avait-il seulement conscience d’être dans l’irrégularité ? À ces questions, la CJR a répondu « non ».

Entendus lors du procès, certains témoins « ont affirmé que le ministre n’avait pas exprimé, de quelque façon que ce soit, une animosité, un mépris, un désir de vengeance, à l’égard des magistrats ou encore la volonté d’user à leur égard des pouvoirs qu’il tenait de sa position », indique ainsi la Cour dans les motivations de son arrêt. Surtout, « l’expérience de pénaliste de M. Dupond-Moretti […] et la connaissance de l’existence de situations objectives de conflits d’intérêts par les différentes autorités appelées à le conseiller n’établissent pas la conscience suffisante qu’il pouvait avoir de s’exposer à la commission d’une prise illégale d’intérêts en ordonnant les enquêtes administratives litigieuses ». Autrement dit : Éric Dupond-Moretti était bien en situation de conflit d’intérêts, sauf qu’il n’en avait pas conscience.

Une « décision politique » pour la France insoumise

L’analyse juridique faite par la CJR a laissé sceptiques de nombreux avocats pénalistes qui, confrontés à des cas semblables devant les juridictions ordinaires, connaissent rarement un tel scénario, l’absence d’élément intentionnel n’étant pas souvent abordée. « Tiens, on a retrouvé l’élément intentionnel, il était caché à la CJR », a ainsi tweeté ironiquement l’un d’entre eux.

Mais c’est surtout sur le plan politique que cette décision a entraîné de nombreuses réactions. Comme Jacqueline Laffont, l’une des avocates du ministre, l’avait anticipé lors de sa plaidoirie, la décision a été immédiatement entachée d’un soupçon de doute. « C’est une décision politique », a rapidement dénoncé La France insoumise qui en a profité pour (re)demander la suppression de la Cour de justice de la République. Car, on le rappelle, cette relaxe a été ordonnée par une Cour composée, certes de trois magistrats professionnels, mais aussi de douze parlementaires (six députés, six sénateurs) de tous bords. Ont-ils voulu sauver le soldat Dupond-Moretti pour des raisons qui leur sont propres ? Par amitié politique pour les membres du groupe Renaissance ? Ou simplement en se mettant à la place du ministre qu’ils seront, eux aussi, peut-être un jour ?

Retisser des liens avec la magistrature

Éric Dupond-Moretti, lui, n’en a cure de ces débats sans fin. Au lendemain de cette décision, il ne retient que la victoire sur « l’infamie » et la « douleur » de toute cette affaire qui lui empoisonne la vie depuis près de trois ans maintenant. Depuis qu’il a « bouleversé » sa vie en devenant ministre, comme il l’a, lui-même, reconnu. Relaxé après tout ça, il a désormais les coudées franches pour poursuivre sa mission de ministre. Et si certains en doutaient encore, le rendez-vous de près d’une heure et demie avec le président de la République à l’Élysée, à l’issue de la décision, en a apporté la preuve.

Reste peut-être le plus délicat pour l’ancien avocat désormais : retisser des liens avec la magistrature qui ne l’a pas épargné pendant toutes ces années. Et aussi avec certains de ses subordonnés – et lesquels ! – contraints de venir déposer à la barre contre lui, lors du procès, et avec qui il va devoir maintenant travailler au quotidien.

Vincent Vantighem

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